Paulette et moi, descendions toute la rue Maginot pour arriver chez ce Kabyle qui tenait sa petite laiterie à côté du
boulanger. C'était une toute petite pièce au sol cimenté lisse qui était toujours recouvert d'eau, Il tenait ce petit
réduit très propre, il faisait un beurre excellent dans une baratte en bois ; ce beurre dont nous étions très
gourmands, nous l'appelions tout simplement le ‘beurre arabe'.
Mais avec Monsieur Bisquerra, c'était tout autre chose dés qu'arrivait le mois de septembre. Les journées étaient
encore belles, longues et ensoleillées et c'était la récolte des olives avant la rentrée des classes. Notre épicier
partait tôt le matin jusqu'au marché couvert de la ville, avec sa charrette et son âne mais nous étions habitués à
dire « le bourricot ». Monsieur Bisquerra revenait avec des sacs d'olives vertes et là, à son appel nous venions en
force, notre groupe au complet attendait avec joie cette période de l'année. Monsieur Bisquerra, le père de
Josiane, de Jeannine, d'Antoine, de Jean-pierre et de Gilbert, mais seulement Josiane faisait parti de notre bande,
les autres étaient déjà trop âgés pour nous. Donc, Monsieur Bisquerra nous remettait un tablier taillé vulgairement
dans de la toile de jute ou devrais-je dire dans des sacs à patates. Le tablier nous couvrait bien, c'est que le jus
des olives vertes, ça tâche et c'est huileux, et malgré qu'aucun d'entre nous, ne porter des vêtements de luxe,
Monsieur Bisquerra ne tenait certainement pas à déplaire à ses bonnes clientes, nos mères. Simplement assis
sur nos derrières sur le ciment du petit trottoir, juste en face de la maison des Dusnasi qui donnait aussi sur cette
petite rue adjacente à la rue Maginot. Notre petit cercle de travailleurs se retrouvait armés d'un gros caillou devant
une montagne d'olives. Crac, crac, crac et beaucoup de rires et de fous rires, les olives cassés remplissaient les
seaux que Monsieur Bisquerra emportait dans l'arrière boutique où il les versait dans les tonneaux remplis de
saumure.
Tout le jour vaillant, sans un sucre d'orge, sans une petite pièce de cuivre, sans rien d'autre que la joie de lui faire
plaisir, nous craquions les olives et cela pendant au moins trois jours. A la fin de chaque journée, Monsieur
Bisquerra nous payait, ah oui, notre travail n'était pas gratuit, c'était un travail au forfait sans discussion de contrat
et sans aucune discussion en préavis. Nous craquions les olives simplement parce que c'était devenu un quelque
chose de particulier, chaque année, à la fin de nos vacances.
Et, quand Monsieur Bisquerra à la fin de chaque journée passait la petite porte du côté, et qu'il nous remettait une
bouteille de Sélecto, nous nous sentions riches. Très heureux nous rentrions à la maison en brandissant cette
bouteille tout comme un champion brandit son trophée.
Que je précise pour les plus jeunes qui liront cet article et qui n'ont pas connu le Sélecto. Le Sélecto était une
boisson légèrement gazeuse, sucrée et à la couleur du coca-cola. Si notre Sélecto avait la même couleur que ce
coca-cola qui sentait le médicament, croyez-moi sincèrement, il n'en avait ni le goût ni l'odeur et avec les grosses
chaleurs que nous connaissions à cette époque, il n'y avait rien de plus réconfortant qu'un grand verre de Sélecto
bien frappé.