Suzanne Servera Ripoll
Paulette et moi, descendions toute la rue Maginot pour arriver chez ce Kabyle qui tenait sa petite laiterie à côté du 
boulanger.  C'était une toute petite pièce au sol cimenté lisse qui était toujours recouvert d'eau,  Il tenait ce petit 
réduit très propre, il faisait un beurre excellent dans une baratte en bois ; ce beurre dont nous étions très 
gourmands, nous l'appelions tout simplement le ‘beurre arabe'.
 Mais avec Monsieur Bisquerra, c'était tout autre chose dés qu'arrivait le mois de septembre.  Les journées étaient 
encore belles, longues et ensoleillées et c'était la récolte des olives avant la rentrée des classes.  Notre épicier 
partait tôt le matin jusqu'au marché couvert de la ville, avec sa charrette et son âne mais nous étions habitués à 
dire « le bourricot ».  Monsieur Bisquerra revenait avec des sacs d'olives vertes et là, à son appel nous venions en 
force, notre groupe au complet attendait avec joie cette période de l'année.  Monsieur Bisquerra, le père de 
Josiane, de Jeannine, d'Antoine, de Jean-pierre et de Gilbert, mais seulement Josiane faisait parti de notre bande,
les autres étaient déjà trop âgés pour nous.  Donc, Monsieur Bisquerra nous remettait un tablier taillé vulgairement 
dans de la toile de jute ou devrais-je dire dans des sacs à patates.  Le tablier nous couvrait bien, c'est que le jus 
des olives vertes, ça tâche et c'est huileux, et malgré qu'aucun d'entre nous, ne porter des vêtements de luxe, 
Monsieur Bisquerra ne tenait certainement pas à déplaire à ses bonnes clientes, nos mères.  Simplement assis 
sur nos derrières sur le ciment du petit trottoir, juste en face de la maison des Dusnasi qui donnait aussi sur cette 
petite rue adjacente à la rue Maginot.  Notre petit cercle de travailleurs se retrouvait armés d'un gros caillou devant 
une montagne d'olives.  Crac, crac, crac et beaucoup de rires et de fous rires, les olives cassés remplissaient les 
seaux que Monsieur Bisquerra emportait dans l'arrière boutique où il les versait dans les tonneaux remplis de 
saumure.
Tout le jour vaillant, sans un sucre d'orge, sans une petite pièce de cuivre, sans rien d'autre que la joie de lui faire 
plaisir, nous craquions les olives et cela pendant au moins trois jours.  A la fin de chaque journée, Monsieur 
Bisquerra nous payait, ah oui, notre travail n'était pas gratuit, c'était un travail au forfait sans discussion de contrat 
et sans aucune discussion en préavis.  Nous craquions les olives simplement parce que c'était devenu un quelque 
chose de particulier, chaque année, à la fin de nos vacances.
Et, quand Monsieur Bisquerra à la fin de chaque journée passait la petite porte du côté, et qu'il nous remettait une 
bouteille de Sélecto, nous nous sentions riches.  Très heureux nous rentrions à la maison en brandissant cette 
bouteille tout comme un champion brandit son trophée.
Que je précise pour les plus jeunes qui liront cet article et qui n'ont pas connu le Sélecto.  Le Sélecto était une 
boisson légèrement gazeuse, sucrée et à la couleur du coca-cola.  Si notre Sélecto avait la même couleur que ce 
coca-cola qui sentait le médicament, croyez-moi sincèrement, il n'en avait ni le goût ni l'odeur et avec les grosses 
chaleurs que nous connaissions à cette époque, il n'y avait rien de plus réconfortant qu'un grand verre de Sélecto 
bien frappé.
La rue Maginot à Maison-carrée, la rue de mon enfance, ma rue, celle des autres gosses, celle 
des petits roumias que nous étions avec la compagnie de quelques Indigènes qui étaient nos 
amis, amies.  Juste à côté du square Altairac, au centre de la ville se trouvait Laverdet, notre école.
Nous étions tous des enfants assidus, nous ne pratiquions pas l'école buissonnière, il n'y a pas 
d'amusements à rester seul, n'est-ce pas !  
Nos parents ne nous accompagnaient pas à l‘école et s'il le faisait, comme le faisait très souvent 
ma mère, c'était bien sûr à pieds.  Nous revenions à la maison pour le repas de midi, puis de 
nouveau à pieds, nous reprenions le chemin de l'école pour le reste de la journée.  Donc, sans 
même y penser nous faisions beaucoup de kilomètres.  Nous étions des enfants actifs, remuants, 
sages et bien sûr espiègles.  Le manque d'intérêt à l'entourage et la tranquillité chez un enfant est 
bien souvent un signe de santé faible mais nous, les gosses de la rue Maginot, étions plein 
d'énergie et en très bonne santé.  Nous étions aussi toujours volontaires et pas seulement aux 
bêtises ou au jeu mais aussi volontaire à l'effort.  Nos jeux et nos bêtises, je laisse ça pour l'écrit 
d'un autre souvenir, là je ne veux que raconter ce qui est la preuve de notre effort à l'entre aide et je 
suppose au respect que nous portions à nos aînés.
Tous mes copains et copines habitant la rue Maginot se rappellent fort bien  de Monsieur et 
Madame Bisquerra, nos seuls épiciers Pieds-noirs, les autres épiciers étaient Mozabites ou 
Kabyles, soit en tout quatre épiceries.  Notre épicier favori était Monsieur Bisquerra à qui nous 
achetions du bon pâté Olida, du saucisson Mireille, du sucre et de la farine.  Pour les fruits et 
légumes, ma famille n'avait qu'à descendre dans le jardin de mon père.  Pour le beurre et le petit 
lait, ma sœur
Une bouteille de Sélecto et nous étions riches !